
Cuba : économie en danger !
Cuba : économie du cigare en danger !
La situation économique à Cuba et la raison de l’inflation du prix des cigares cubains depuis 2021
Cuba : économie en danger – Le cigare est l’un des symboles de luxe à la cubaine, considéré par beaucoup comme les meilleurs du monde, et ce depuis longtemps. L’industrie de Cuba traverse depuis des années des bouleversements économiques et géopolitiques majeurs, et l’industrie des cigares cubains n’y échappe pas.
Depuis 2021, les amateurs des cigares cubains ont pu remarquer une envolée spectaculaire des prix, suscitant l’incompréhension.
Derrière cette inflation des prix des cigares cubains, se cachent des dynamiques complexes liées à la situation économique du pays, aux répercussions de la pandémie, aux sanctions économiques, mais aussi à une stratégie ambitieuse et commerciale à l’internationale, notamment en Asie, visant à repositionner le cigare cubain comme un produit très haut de gamme.
1. Un contexte économique cubain fragilisé
1.1 La dépendance structurelle de l’économie cubaine
La république de Cuba est officiellement créée le 20 mai 1902. L’île repose historiquement sur une économie centralisée avec une forte dépendance à des secteurs stratégiques comme le tourisme, les exportations de nickel, de sucre et surtout les envois de fonds de la diaspora cubaine. Le pays souffre depuis plusieurs décennies de contraintes structurelles : manque de liquidités, inefficience du secteur public, faible productivité agricole et industrielle, embargo. À cela s’ajoute une forte dépendance aux importations pour couvrir les besoins alimentaires et énergétiques.
1.2 L’impact de la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 a mis un frein brutal au tourisme, jusqu’à provoquer son effondrement. Le tourisme représente la principale source de devises pour le pays. L’économie du tourisme s’est contractée de plus de 80 % entre 2019 et 2021, faisant chuter le PIB réel de 10.9% en 2020, aggravant la pénurie de devises étrangères. Cette situation a mis en difficulté l’État cubain limitant sa capacité à importer des biens essentiels, en créant des pénuries alimentaires et médicales, et en alimentant une inflation généralisée.
1.3 Les sanctions américaines renforcées
Les Etats-Unis imposent des sanctions économiques à Cuba depuis plusieurs décennies : c’est un élément central dans l’aggravation de la situation économique cubaine. Si l’embargo commercial a été initialement instauré en 1962 sous l’administration du Président John Fitzgerald Kennedy, il a connu plusieurs intensifications successives au fil des décennies. Entre 2017 et 2021 une accentuation brutale s’est produite, sous le premier mandat du Président Donald Trump, avec des effets immédiats sur les finances publiques cubaines et l’ensemble de l’économie, y compris l’industrie du cigare.
A partir de juin 2017, l’administration de Donald Trump a annulé plusieurs mesures de rapprochement mises en place par le Président Barack Obama. Parmi les sanctions les plus marquantes :
- 2019 : L’interdiction des croisières américaines vers Cuba, qui a privé l’île de près de 800 000 touristes annuels, représentant plusieurs centaines de millions de dollars de recettes.
- Octobre 2019 : Les États-Unis ont limités les envois de fonds (remesas) des exilés cubains à leurs familles à 1000 dollars par trimestre, avant de suspendre totalement les opérations de Western Union à Cuba en novembre 2020, affectant environ 1,5 milliard de dollars par an de transferts.
- Janvier 2021 : Quelques jours avant la fin de son mandat, Donald Trump remet Cuba sur la liste des États soutenant le terrorisme, aux côtés de l’Iran, de la Corée du Nord et de la Syrie. Cette décision isole encore davantage l’économie cubaine du système bancaire international. Elle empêche également la signature d’accords commerciaux ou de prêts multilatéraux avec des partenaires étrangers sous influence américaine.
1.3.1 Impact économique chiffré
Selon les Nations unies, les pertes économiques pour Cuba dues aux sanctions américaines entre avril 2019 et décembre 2020 ont été estimées à 9,1 milliards de dollars. Le gouvernement cubain estime, quant à lui, que le total cumulé des pertes dues à l’embargo dépasse 150 milliards de dollars depuis 1962, en tenant compte de la dépréciation du dollar.
Ces sanctions ont :
- Limité l’accès aux devises, essentielles pour importer nourriture, carburant, médicaments et intrants agricoles (notamment pour la culture du tabac).
- Freiné les investissements étrangers, en raison de la crainte de représailles juridiques ou financières de la part des États-Unis.
- Affecté la production agricole et industrielle, en accentuant les pénuries de pièces détachées, de carburants et d’équipements.
1.3.2 Conséquences pour l’industrie du cigare
L’industrie du cigare, bien qu’exempte d’interdiction à l’export vers certains pays tiers, souffre indirectement de ces sanctions :
- Difficulté à obtenir des emballages, des étiquettes, ou même des humidors, qui sont souvent importés.
- Augmentation des coûts de production, reportés sur le prix final du produit.
- Perte du marché américain, historiquement le plus important avant l’embargo. Cette perte est aujourd’hui estimée à plus de 200 millions de dollars par an pour les seuls cigares haut de gamme, accaparés désormais par la République dominicaine et le Nicaragua.
Enfin, le durcissement des sanctions a contraint Cuba à orienter encore davantage ses exportations vers des marchés disposant de devises fortes, comme la Chine, les Émirats arabes unis et certains pays européens. Cela participe à la logique de luxe et de rareté abordée dans la politique commerciale de l’entreprise Habanos.
2. La réforme monétaire de 2021 et ses conséquences
2.1 La fin du double système monétaire
Le 10 décembre 2020 le président Miguel Diaz-Canel annonce abandonner, 1er janvier 2021, le système de double monnaie (CUC et CUP). Un système de double monnaie en place sur l’île depuis 1994 et jusque-là unique au monde. Le peso convertible (CUC) aligné artificiellement sur le dollar avait était créé pour remplacer la devise américaine. Depuis le 1er janvier 2021 le peso cubain (CUP) est devenu la seule monnaie officielle, au taux de change initial de 24 CUP pour 1 USD. Cette mesure, bien que nécessaire pour rétablir une certaine transparence économique, a eu pour conséquence une inflation importante.
2.2 Une inflation galopante
Cette réforme monétaire a entraîné une forte hausse des prix dans un contexte de pénuries généralisées. Selon l’Observatoire cubain des droits économiques, certains secteurs auraient dépassé les 500% d’inflation. De ce fait le marché noir du dollar s’est développé, avec un taux de change officieux bien supérieur au taux officiel. Cela a bien évidemment un impact important le pouvoir d’achat des Cubains.
2.3 Conséquences sur les exportations et l’image de marque
Depuis 2021 et dans ce contexte, les autorités cubaines ont cherché à privilégier les sources de revenus en devises. Les exportations de biens de luxe, notamment les cigares, ont été orientées vers les marchés à fort pouvoir d’achat comme l’Asie notamment la Chine continentale, Hong Kong, Singapour et Émirats arabes unis, au détriment de marchés historiquement importants mais plus sensibles aux prix comme l’Europe.
Pour l’année 2022, les cigares cubains ont généré 545 millions de dollars de chiffre d’affaires, en hausse de 2% par rapport à l’année 202, malgré une baisse de la production de 15 à 20%.
Ces chiffres montrent bien le repositionnement stratégique du cigare cubain de vendre moins mais beaucoup plus cher. Avec cette stratégie Cuba considère son cigare, non plus comme un produit accessible, culturel, social et artisanal, mais comme un bien élitiste voire spéculatif.
Ce changement d’image de marque, bien qu’efficace à court terme pour augmenter les recettes en devises, pose la question de la marque « cigare de Cuba ». Historiquement le cigare cubain était accessible à une large base de passionnés dans le monde entier.
Suite à ce changement de stratégie commerciale et l’augmentation vertigineuse des prix, en l’espace de deux ans, les passionnés européens et nord-américains se tournent vers les cigares de République dominicaine, du Nicaragua ou du Honduras, qui offrent une qualité comparable à un prix bien plus accessible.
3. Pourquoi les prix des cigares cubains ont explosé depuis 2021
3.1 La stratégie commerciale d’Habanos.
L’entreprise Habanos est une entreprise cubaine, fondée en 1994, de fabrication de tabac qui contrôle la promotion, la distribution et l’exportation de tous les cigares cubains. L’entreprise Habanos possède toutes les marques de cigares cubains exportés dans le monde. Elle commercialise les marques comme Cohiba, Montechristo, Trinidad, Bolivar, Roméo y Julieta, Upmann, entres autres.
Afin d’éviter les contrefaçons et de contrôler la distribution l’entreprise Habanos n’exporte qu’à une seule entreprise par pays, sauf aux Etats-Unis qui imposent un embargo commercial à l’île depuis 1962.
L’entreprise Habanos est détenue à 50 % par Cubatabaco (entreprise publique cubaine) et à 50 % par Altadis. Altadis était un géant franco-espagnol du tabac qui est devenu actionnaire égalitaire en 2000.
L’entreprise Altadis est passée sous le contrôle du conglomérat chinois Allied Cigar Corporation en octobre 2020. À la suite de cela l’année 2021 sonne le tournant majeur de la stratégie de prix.
A l’occasion du salon international du luxe à La Havane en mai 2022, l’entreprise Habanos fait une annonce officielle concernant un réalignement global des prix de ses marques de prestige, à commencer par Cohiba et Trinidad, pour les aligner sur les tarifs pratiqués dans les marchés asiatiques, notamment à Hong Kong, référence tarifaire mondiale. Cette décision a eu un effet immédiat provoquant une augmentation des prix de 100 % à 300 % sur certains modèles en Europe et en Amérique du Nord.
Par exemple :
- Une boîte de Cohiba Siglo VI, vendue autour de 500 à 600 € en France en 2020, est passée à plus de 1200 € fin 2022.
- Le Cohiba Behike 56, déjà considéré comme produit de luxe en 2020 à environ 900 € la boîte, a atteint plus de 2500 € dans certains circuits de distribution européens en 2023.
Le but affiché de cette politique est double :
- Uniformiser les prix mondiaux pour éviter les arbitrages et la revente parallèle entre continents.
- Positionner le cigare cubain dans l’univers du très haut de gamme, au même titre que les montres suisses, la haute couture ou les grands crus classés français.
Cette montée en gamme est également soutenue par la sortie d’éditions limitées comme :
- Cohiba 55 Aniversario (2022), lancé pour célébrer les 55 ans de la marque, vendu à plus de 5000 € le coffret.
- La collection “Colección Habanos”, réservée à des marchés de collectionneurs.
La croissance continue du marché asiatique, portée vers le luxe, a facilité cette politique. Selon Habanos, la Chine est devenue en 2020 le premier marché mondial pour les cigares cubains, dépassant l’Espagne et la France.
Les clients sont issus d’une classe aisée émergente, très friande de produits de luxe avec un fort sens à connotation culturelle et statutaire.
3.2 Une offre limitée et une demande mondiale élevée
La nouvelle stratégie commerciale de l’entreprise Habanos, et donc de Cuba, n’explique pas à elle seule l’envolée des prix des cigares cubains.
Comme tout produit ayant une offre et une demande, la très forte augmentation des prix est le résultat d’un déséquilibre fondamental dû à une série de chocs exogènes affectant la production.
3.3 Les catastrophes naturelles.
Entre 2020 et 2022 l’île de Cuba a été touchée par une série de catastrophes naturelles, notamment dans la région de Pinar del Rio à l’ouest de Cuba, qui produit environ 65 à 70 % du tabac pour les cigares cubains premium.
Parmi les catastrophes naturelles importantes, en novembre 2020 la tempête tropicale Eta provoque dans la région de Pinard del Rio d’importantes inondations. Certaines exploitations ont perdu entre 30 et 40 % de leur tabac vierge.
En septembre 2022, l’ouragan Ian, classé catégorie 3, a durement frappé la région de Pinar del Rio, détruisant plus de 11 000 installations agricoles, dont de nombreux séchages traditionnels de tabac.
Selon les autorités cubaines, près de 90 % des infrastructures de la région ont été endommagées, affectant gravement la récolte 2022-2023.
Ces catastrophes naturelles ont provoqué la perte de plus de 10 000 tonnes de tabac, soit l’équivalent de plusieurs millions de cigares non produits ou dont la qualité n’était pas conforme aux standards d’exportation.
3.4 La pénurie d’intrants agricoles
En parallèle, les pénuries chroniques d’engrais, de carburant et d’outils agricoles, causées par la crise économique et les sanctions, ont entraîné une baisse de la productivité dans toutes les provinces productrices.
Les agriculteurs doivent souvent travailler avec des outils obsolètes ou fabriquer eux-mêmes des fertilisants rudimentaires.
3.5 Une baisse de main-d’œuvre qualifiée, liée à l’exil de nombreux jeunes Cubains.
Les cigares cubains sont fabriqués de manière artisanale avec un processus très exigeant qui dépend d’un savoir-faire transmis de génération en génération.
Depuis la pandémie de COVID 19 et la crise économique qui a suivie, Cuba a connu une fuite de main d’œuvre qualifiée dans la fabrication des cigares, comme les « torcedores » (rouleurs de cigares).
En 2022, plus de 220 000 cubains ont immigré vers les Etats-Unis, un record historique, afin de trouver des meilleures conditions de vie et de salaires.
Par conséquence, des usines de fabrication emblématiques comme Partagas ou El Laguito, qui fabriquent les cigares Cohiba, ont parfois dû ralentir la production faute de main d’œuvre qualifiée.
Cette baisse de l’offre s’est conjuguée à une demande mondiale toujours croissante, notamment sur les marchés asiatiques où le cigare cubain bénéficie d’un fort prestige.
Le déséquilibre entre l’offre et la demande a mécaniquement entraîné une flambée des prix.
3.6 La rareté comme outil de valorisation
Dans une logique assumée de montée en gamme, les autorités cubaines ont limité volontairement les quantités disponibles à l’exportation, créant un effet de rareté sur les marchés occidentaux.
En 2021, la région Asie-Pacifique représentait 28% des ventes de cigares cubains. Cette rareté a amplifié le phénomène des collectionneurs et investisseurs créant une spéculation sur certaines références rares.
En 2023, une boîte de Cohiba Behike 54 édition 2019 s’est vendue plus de 4000 € aux enchères à Genève.
4. Un repositionnement assumé sur le marché du luxe
4.1 Le cigare cubain : un symbole national devenu produit d’exception
L’État cubain mise désormais sur une stratégie élitiste : produire moins, mais vendre beaucoup plus cher.
Cette stratégie est soutenue par une communication ciblée, des éditions limitées, des coffrets de collection, et une présence accrue dans les salons de luxe internationaux.
Le cigare cubain n’est plus un produit de consommation, mais un objet de prestige, destiné à une clientèle haut de gamme.
4.2 Conséquences pour les consommateurs occidentaux
Pour les fumeurs traditionnels d’Europe ou d’Amérique du Nord, ces hausses de prix sont mal vécues.
De nombreux amateurs se tournent vers des cigares dominicains, nicaraguayens ou honduriens, dont la qualité a fortement progressé au cours des dernières années.
Certains distributeurs rapportent une baisse de 30 à 50 % des ventes de cigares cubains dans leurs boutiques depuis 2022.
Conclusion
L’inflation des prix des cigares cubains depuis 2021 est le résultat d’une conjonction de facteurs : crise économique à Cuba, réforme monétaire inflationniste, catastrophes climatiques, baisse de production, sanctions internationales, mais surtout un repositionnement stratégique sur le marché du luxe. L’État cubain, via l’entreprise Habanos, a opté pour une montée en gamme, misant sur la rareté et le prestige pour maximiser ses recettes en devises.
Il ne s’agit plus simplement de vendre des cigares, mais de vendre le mythique cigare cubain sous une forme ultra-premium, en capitalisant sur la rareté, le prestige historique et l’image de tradition artisanale.
Si cette stratégie permet de préserver des revenus pour un pays en grande difficulté, elle pose également la question de l’accessibilité à ce patrimoine culturel que représente le cigare pour les Cubains et les amateurs du monde entier. À terme, Cuba devra peut-être choisir entre rentabilité immédiate et transmission de son savoir-faire à une clientèle plus large. D’ici là, le cigare cubain restera un produit convoité, rare, et résolument haut de gamme.